Publication scientifique dans la revue NATURE ENERGY
Quels sont les obstacles et les solutions pour l’intégration des technologies photovoltaïques aux bâtiments? Des chercheurs de l’EPFL et du Centre Suisse d'Electronique et de Microtechnique (CSEM) livrent leur expertise dans une étude qui vient de paraître dans Nature Energy. Laure-Anne Pessina et Sandrine Perroud, journalistes à Mediacom, ont interviewé Christophe Ballif (STI) et Emmanuel Rey (ENAC), deux auteurs de cette recherche interdisciplinaire, également initiateurs du projet de recherche interdisciplinaire ACTIVE INTERFACES.
Pourquoi y a-t-il souvent une réticence du côté des architectes à intégrer des dispositifs photovoltaïques (PV) aux bâtiments?
Emmanuel Rey*: Dans le cadre du projet de recherche interdisciplinaire «Active Interfaces», réalisé dans le cadre du Programme national de recherche sur le virage énergétique (PNR 70), nous avons pu identifier principalement deux raisons. La première est liée au manque de connaissances par rapport aux dernières évolutions technologiques et aux enjeux économiques, La seconde est liée à un manque de références en termes d’intégration architecturale. Il y a encore assez peu d’exemples convaincants et cela est encore plus visible dans le domaine de la rénovation.
Christophe Ballif**: Il y a bien sûr aussi la question du coût. Les projets avec photovoltaïque intégré tendent à être plus chers, surtout s’ils ne font pas partie d’une réflexion intégrative dès le départ.
Comment inverser cette tendance?
E.R.: La transition énergétique et l’évolution des exigences légales en faveur des énergies renouvelables devraient déjà faire augmenter la demande en matière d’énergie photovoltaïque. Il s’agit aussi dans un futur proche de changer de paradigme, en intégrant directement le photovoltaïque à l’enveloppe du bâtiment (BIPV), idéalement, dès les premières esquisses du projet architectural. La diffusion de connaissances auprès de tous les acteurs concernés (maîtres d’ouvrage, architectes, spécialistes, entreprises) est donc particulièrement importante pour favoriser l’émergence de nouvelles références de qualité. Il apparaît aussi nécessaire de disposer prochainement de multiples exemples convaincants en termes esthétiques démontrant la fiabilité de telles approches au niveau technologique et économique.
C.B.: En parallèle, les progrès faits dans le photovoltaïque (rendement, coût par m2) permettent de générer du courant à un coût plus compétitif, si l’on intègre le PV dans les processus de construction ou de rénovation. Avec l’augmentation du volume, les prix devraient aussi baisser. Et bien sûr, il n’y a pas que le prix… une demande pour des projets qui considèrent la durabilité et la responsabilité environnementale émerge également. Au niveau technologique et pratique, nous devons continuer à élargir la palette des solutions disponibles, améliorer et systématiser les procédés de fabrication d’éléments sur mesure, assurer une fiabilité de haut niveau et travailler à intégrer mieux tous les acteurs intervenant dans tout projet de construction. Grâce à cela, le marché devrait pouvoir bénéficier d’une croissance de près de 40% dans la décennie à venir. De belles perspectives!
Concilier esthétique et photovoltaïque, est-ce vraiment possible?
E.R.: Il est en effet central de ne pas défigurer le tissu architectural de notre environnement construit. A l’origine, les panneaux photovoltaïques étaient soit noirs, soit bleu foncé et présentaient l’apparence d’éléments techniques qui se greffaient tant bien que mal sur les toitures. Aujourd’hui, grâce à de multiples développements technologiques, il existe des panneaux de différentes dimensions, textures et couleurs, y compris blancs, qui peuvent être mats, brillants ou semi-transparents. Ces nouveaux produits permettent une multitude d’utilisations et peuvent être plus aisément intégrés à l’enveloppe des bâtiments. En considérant ces possibilités dès les premiers pas du projet, un important potentiel peut apparaître en termes d’intégration architecturale.
Pouvez-vous donner des exemples suisses et internationaux de bâtiments qui ont réussi à intégrer le photovoltaïque à leur architecture?
E.R.: Parmi les multiples exemples récents, citons notamment la Heron Tower, immeuble de grande hauteur réalisé en 2011 à Londres par les architectes Kohn Pedersen Fox, la toiture solaire de la Halle Pajol, à Paris, réalisé en 2013 par Jourda Architectes ou l’immeuble administratif Energy Cube réalisé, en 2011 à Constance par l’architecte Arnold Wild.
En Suisse, il y a également plusieurs exemples récents à signaler: la nouvelle façade du CSEM à Neuchâtel conçue par le bureau GD Architectes en 2015 et composée de modules photovoltaïques à cellules bifaciales; le premier bâtiment résidentiel autonome de Suisse à Brütten (ZH), par l’architecte René Schmid en 2016 [voir galerie d'images, ndlr], ou, encore, la Grosspeter Tower, conçue par Burckhardt und Partner AG et inaugurée à Bâle, en 2017.
La récente rénovation d'un immeuble d'habitation des années septante par l’architecte Karl Viriden à Zurich a par ailleurs mis en évidence la possibilité d’intégrer des façades actives également dans la transformation du bâti existant. Il en est de même pour la rénovation des toitures de l’Hôtel des Associations à Neuchâtel (Prix solaire suisse 2015) et d’une ferme située dans un site protégé au niveau du patrimoine, à Ecuvillens dans le canton de Fribourg [voir galerie d'images, ndlr].
C.B.: Cette ferme, dont la toiture a été rénovée de manière exemplaire avec des panneaux en silicium cristallin de couleur terra-cotta, fait d’ailleurs l’objet de la couverture de la revue Nature Energy. C’est une preuve que les temps changent!
*Emmanuel REY, professeur associé, Faculté de l'environnement naturel, architectural et construit (ENAC)
Directeur du Laboratoire d’architecture et technologies durables (LAST)
**Christophe BALLIF, professeur ordinaire, Faculté des sciences et techniques de l'ingénieur (STI)
Directeur du Laboratoire de photovoltaïque et couches minces électroniques (PV-Lab) et du CSEM PV-center