Le FNS booste la recherche sur les énergies renouvelables
Une quinzaine de projets de recherche conjoints ont été retenus par le Fond National Suisse pour aborder le virage énergétique. L’EPFL chapeaute notamment deux importants piliers autour de l’énergie photovoltaïque et de son intégration architecturale.
La Suisse lance un vaste Programme national de recherche pour la transition énergétique (PNR 70). Deux chercheurs de l’EPFL ont la responsabilité d’en développer d’importants piliers. Christophe Ballif, directeur du PV-LAB, mènera le projet PV2050 qui doit améliorer la technologie photovoltaïque et l’amener dans l’environnement construit. Emmanuel Rey, directeur du Laboratoire d'architecture et technologies durables (LAST), pilotera le projet Active Interfaces, dont l’objectif est de comprendre et de résoudre les problèmes liés à l’intégration du photovoltaïque dans les bâtiments (BIPV). Deux visions complémentaires qui veulent rassembler dans un même objectif développeurs, ingénieurs, architectes et utilisateurs. Les chercheurs nous expliquent les défis à relever.
Vous avez tous deux la responsabilité de développer un pan important de ce programme national. Quels sont vos objectifs?
Christophe Ballif : L’objectif de ce projet est de préparer les technologies du photovoltaïque de demain. Dans ce domaine les progrès sont énormes mais on veut aller encore plus loin : En premier lieu améliorer le rendement des panneaux solaires, on aimerait démontrer une nouvelle catégorie de dispositifs à 30% de rendement – aujourd’hui nous ne dépassons pas encore les 25% avec les cellules terrestres. Pour la Suisse ce serait très intéressant car elle dispose d’un espace restreint, et il faudrait couvrir une grande partie des toits pour arriver à 20% d’électricité. Plus le rendement est élevé moins on a besoin de surface. Nous évaluons également l’impact sur l’approvisionnement électrique suisse de ces futurs technologies. Et le 2ème intérêt c’est aussi d’utiliser de nouvelles technologies photovoltaïques également en façade, ce qui augmenterait les espaces à disposition..
Emmanuel Rey : Seule une partie restreinte du potentiel photovoltaïque est exploitée dans les constructions. L’implémentation réussie des panneaux photovoltaïques n’est pas une chose qui va de soi, encore aujourd’hui. Notre première mission sera de comprendre quels sont les barrières et les blocages qui existent vis à vis de leur intégration dans les bâtiments. Il y a un gap entre la demande des utilisateurs et les produits à disposition, ainsi que d’importants enjeux en terme d’intégration architecturale.
Est-ce que on a aussi une marge de progrès dans le bâti existant ?
ER : C’est précisément notre but de beaucoup mieux intégrer le photovoltaïque dans les processus de renouvellent urbain. Un stock important de bâtiments du milieu urbain va être rénovés dans les prochaines décennies et nous devons faire coïncider cette évolution attendue avec le virage énergétique. Le design et la technologie doivent être étroitement liés ainsi que l’aspect social ou culturel pour que les projets intègrent harmonieusement le solaire. Ce qui ne se fait pas ou trop peu aujourd’hui.
Vous allez travailler en synergie, combiner vos compétences respectives dans la technologie et l’intégration architecturale. Qu’est-ce que vous attendez de cette collaboration multidisciplinaire?
CB : Nous, les ingénieurs, et les fabricants, avons fait de tels progrès sur la construction et le prix des panneaux solaires que l’on se sent presque frustrés qu’ils ne soient pas utilisés d’office par les architectes. On réalise alors que notre travail, qui est de fournir de la technologie, est insuffisant pour faire adopter cette technologie en masse. Il y a des paramètres économiques, mais aussi sociaux qui nous échappent. Tant qu’on n’a pas un voisin qui se lance, on n’y pense pas. Cela entraine un paradoxe. Il faut beaucoup produire et installer pour diminuer les coûts des jolis systèmes PV. C’est le serpent qui se mord la queue, pour produire beaucoup il faut que les gens sachent que ça existe.
ER : En travaillant de manière coordonnée et interdisciplinaire entre ingénieurs et architectes, on réunit les référents de deux mondes. L’un s’intéresse prioritairement au rendement, l’autre à l’esthétique et à l’intégration. Si les nouvelles technologies sont inclues en amont dans les projets architecturaux, elles peuvent devenir une « matière première » pour faire évoluer l’architecture. Il s’agirait de ne plus poser un panneau photovoltaïque sur une façade, mais plutôt d’essayer de substituer directement l’élément de façade par le panneau photovoltaïque. Ce double enjeu quantitatif et qualitatif implique de collaborer plus étroitement entre designers et spécialistes de la technologie.
Du point de vue du rendement, qu’est-il encore possible de faire pour améliorer les choses?
CB : Nous avons le désir de développer de nouveaux dispositifs à plus haut rendement avec des approches nouvelles, notamment en superposant des cellules solaires, qui absorbent différentes partie du spectre solaire. Cela implique des composants irréprochables que l’on doit coupler, pour cela nous devons développer des processus de fabrication compatibles. Les différentes couches peuvent être sensibles à la température, à l’humidité ou encore à la diffusion d’impuretés, donc il y a là un vrai challenge à relever.
Mais on aura compris que ce n’est pas le seul aspect sur lequel il faut travailler pour développer la filière…
CB : Le potentiel du photovoltaïque est immense. Mais du fait d’une production intermittente, la gestion de cette énergie pose un certain nombre de problèmes à court terme que l’on pourrait régler à l’aide du smartgrid, des barrages ou du stockage local notamment. Il y a encore l’aspect été-hiver et là, les intégrations en façade pourraient combler en partie la baisse de productivité : dans ce cas, on peut obtenir autant de courant en hiver qu’en été!
ER : L’enjeu est aussi d’accélérer le passage de la recherche académique aux acteurs sur le terrain. De notre côté, nous allons simuler des projets réels et les soumettre aux intéressés pour évaluation. Il y a cette volonté de faire le lien entre plusieurs disciplines afin de développer une nouvelle culture en Suisse. Pour cela, il faut une meilleure intégration esthétique et un design optimisé de ces éléments. Aujourd’hui la technologie met à notre disposition des panneaux de toutes les couleurs, y compris le blanc. Pour arriver à nos fins, nous devrons travailler sur les teintes, mais aussi les éléments de finition, les détails constructifs, la taille des modules voire même la texture des panneaux solaires.
Quelles sont les limites du solaire ou les défis à relever que ce soit dans les domaines technique, social, culturel ou économique?
ER : Si on imagine disséminer des panneaux solaires tels quels sur des bâtiments, cela engendre des blocages, notamment de la part des municipalités qui craignent – à juste titre – de voir leur ville défigurée. La question de l’intégration est donc essentielle. L’ambition est ici de trouver de nouveaux chemins pour parvenir à cette augmentation à la fois quantitative et qualitative, sans mettre en péril l’identité de nos villes.
CB : La communication entre les ingénieurs et les différents corps de métier de la construction est parfois inexistante. Par exemple, je peux témoigner d’une situation ou il a fallu enlever le gravier sur la nouvelle la toiture pour pouvoir poser les supports des panneaux, simplement parce qu’il n’y a pas eu de coordination ni d’effort d’intégration en amont. De manière plus générale, il me semble que les gens sont réticents pour toutes sortes de bonnes et de mauvaises raisons. Mais le changement devra se faire, les bâtiments à énergie réduite auront quasiment-tous leurs systèmes photovoltaïques. Dans le canton de Vaud, produire une partie de son énergie est dans la loi pour les nouvelles constructions. Tous les corps de métiers seront donc contraints de se confronter à cette réalité.
Entretien réalisé par Sandy Evangelista et Jan Overney